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Pierre Kende - La double equation de l'identité europeenne
.: Data publikacji 04-Pa¼-2005 :: Ods³on: 1793 :: Recenzja :: Drukuj aktualn± stronê :: Drukuj wszystko:.

Pour autant que nous la concevons autrement que comme un vague sentiment de proximité politico-culturelle, l'identité européenne demande que nous précisions le contenu distinctif, ce qui à son tour suppose que nous réussissions à délimiter celui-ci à la fois vers "le bas" (nations) et vers "le haut" (humanité). La communication qui suit va s'attaquer successivement à ces deux problèmes de "délimitation" pour aborder in fine le problème plus général, conceptuel en quelque sorte, de "l'identité collective" en tant que telle.

 

Délimitation vers le bas

 

L'Europe, comme chacun sait, n'est pas une entité de type national: ses habitants, tout en partageant maintenant - du moins en principe - un seul et même territoire, n'ont pas de passé commun ni de langue unifiante; citoyens, ils ont été formés par des histoires politiques et des traditions étatiques différentes et distinctes. C'est ce qui fait d'ailleurs que - alors même qu'ils participent à la même entreprise de "construction européenne" - ils sont loin d'avoir la même vision de l'Europe qu'ils font. En matière européenne, qu'il s'agisse d'agriculture, de finance, de politique extérieure ou de n'importe quelle matière, la manière de voir les choses n'est pas la même lorsqu'on est français, allemand, britannique, polonais, nordique ou ibérique ( etc.). On partage le mot "Europe" mais pratiquement, au niveau de la vision que le mot véhicule, il y a autant d'"Europes" que de nations européennes ( mettons une trentaine)

 

Cette diversité est-elle un bien? Peut-être. Mais qu'elle soit un bien ou en mal, elle s'oppose à l'unité.

 

Vous me demandez sans doute ce que j'entends ici par "vision". Eh bien, ni plus ni moins que ce que les gens ont en tête lorsqu'ils pensent à la chose publique, à la vie en communauté. La diversité dont nous parlons tient au fait que tous - Français, Allemands, Italiens, Polonais, etc. - ont été formés à la chose publique par leurs antécédants et traditions respectifs, nationaux et locaux. Nous savons aussi que, depuis le XIXe siècle, l'élément déterminant de cette formation civique a été national bien plus que local ou régional. Dès lors, le citoyen européen - qui n'existe pas encore - est soit français, soit belge, soit polonais ( et ainsi de suite ), et pour autant qu'il se fait une idée positive de l'Europe, il se la représente comme française, allemande, polonaise, espagnole ( et ainsi de suite ).

 

"Fédérer les nations", qui jusqu'à nouvel ordre est l'idée directrice de la construction européenne, est un projet respectable et sans doute plus réaliste que celui d'une Europe unie ( au sens d'une république une et indivisible). Mais est-ce que ce projet minimaliste - qui n'est même pas tout à fait "confédéral" - peut conduire à brève ou moyenne échéance à l'unité au sens de la "chose publique" unifiée, partagée, discutée en commun? J'en doute. Et il me semble que mes doutes sont largement partagés tant par les adeptes que par les adversaires d'une "Europe unie". Les premiers estimant que l'Europe politique est dans une impasse et les seconds, que le maintien, coûte que coûte, de la forme intergouvernamentale est le seul moyen d'éviter la catastrophe de la supranationalité.

 

Pour dire la chose autrement: en l'absence d'un "corps politique" unifié, l'Europe peut difficilement avoir une identité, une seule. Divisée vers le bas du fait des corps politiques hérités du passé qui continuent de former et d'informer l'identité civique des Européens, la Communauté européenne - baptisée prématurement Union - aura du mal à

 

 

imposer une identité unique. Avec ou sans monnaie commune, traversant aussi librement que possible les frontières d'Etat, les citoyens de cette communauté resteront dans leur tête français, britanniques, etc., et accessoirement seulement,"européens".

 

Si ce constat est acceptable - et je crois qu'il l'est en l'état actuel des affaires européennes -, le problème qui se pose alors pour un partisan de l'Europe unie est de savoir s'il existe néanmoins des voies encore cachées, directes ou indirectes, permettant de rapprocher la chose publique des uns et des autres à commencer par la "vision" qu'ils se font de l'Europe.

 

Un des obstacles majeurs et évidents à l'unification politico-culturelle est la diversité des langues: en l'absence d'un parler commun lui permettant de disputer et de délibérer en commun, une population peut difficilement arriver à se former en vraie communauté ( historiquement, les exceptions sont rarissimes ). Le processus qui avait conduit à la formation des nations modernes ayant fixé les langues qui sont celles des Etats-membres, actuels ou futurs, de l'Europe institutionelle, celle-ci ne peut faire autrement que de les reconnaître toutes en s'organisant comme si, pour l'usage officiel, elles étaient toutes équivalentes. Dès lors la "politie" européenne est multilingue avec toutes les difficultés pratiques que cele entraîne. Mais si administrativement - au prix et aux coûts que l'on sait - le multilinguisme est faisable, dans la vie ordinaire et civique la pluralité des langues perpétue les frontières en Europe-même et empêche les citoyens qui se situent de part et d'autres de ces frontières de communiquer entre eux comme ils le font avec leurs connationaux. En dehors des instances restreintes de l'Europe institutionelle, dont les travaux sont d'ailleurs largement ignorés par les opinions publiques, il n'y a pas de débat "européen" ni une véritable délibération paneuropéenne - si l'on peut encore se servir de ce mot quelque peu suranné.

 

Au début du XXe siècle, et encore à l'entre-deux-guerres, certains ont tenté de propager des langues de communication internationale - du type de l'esperanto - dont ils attendaient qu'elles contribuassent à rapprocher les peuples. L'esperanto qui voulait être accessible à tous du fait de sa simplicité, offrait d'ailleurs une synthèse saisissante entre les principales langues européennes. Des dizaines de milliers d'Européens, peut-être même plus, la pratiquaient à son apogée, à commencer par les cheminots et les postiers..... Il est d'autant plus mystérieux que l'idée d'une telle langue - certes artificielle, mais reconciliatrice et reliante - n'ait jamais été associée à la construction européenne. D'où la nécessité pour les européens d'aujourd'hui de s'accommoder avec un multilinguisme peu commode et qui se complique encore avec chaque nouvel Etat admis. D'où aussi l'insensible progression - jamais prévue par aucun traité mais imposée par l'internationalisation des contacts - de l'une des langues de l'UE comme langue privilégiée de communication. Un des problèmes que le triomphe de cette langue soulève est qu'elle n'est pas exclusivement ni principalement européenne. ( Nous en reparlerons dans un instant )

 

Le mur des langues est impossible à démonter ou à écarter. Il est cependant un autre mur séparant les nations qu'il ne serait pas impossible de supprimer si l'on y mettait de la bonne volonté; c'est celui de l'histoire que l'on enseigne à l'école. On ne peut, bien entendu, pas supprimer que le passé vécu. des uns ait été différent de celui des autres. Les Polonais ne sont pas des Allemands ni des Français - précisément parce qu'ils ont eu une autre histoire que ceux-ci ou ceux-là. Le rapprochement ne saurait pas consister à nier la spécificité, voire l'unicité, des uns et des autres. Il s'agirait cependant de leur mieux faire voir qu'aujourd'hui leur histoire nationale n'est unique que si l'on oublie toutes les autres; qu'elle relève d'une histoire européenne commune comportant mille parallélismes et dont on peut surmonter les aspects conflictuels à condition de les regarder dans une perspective tournée vers l'avenir. Des livres d'histoire "européens", préparés par des équipes mixtes, éclairés par un dialogue avec tous les autres Européens - y compris les voisins les plus problématiques -, conçus et présentés dans un esprit supranational, cosmopolite et critique, permettraient aus jeunes de toutes les nations de se rendre à l'évidence que, culturellement, ils ont les mêmes ancêtres et que leurs traditions, tout en étant différentes, se sont enrichies par des emprunts réciproques pour entrer, evec l'avènement de la modernité, dans des voies plus que similaires.

 

L'unification des histoires particulières est, certes, pleine d'embûches car, souvent, ce qui est cause de fierté pour les uns est souvenir douloureux, rappel d'humiliation pour l'autre. Mais justement: il faudrait arriver à un état de conscience où les gloires tout comme les blessures du passé soient partagées, où ce qui attriste l'un ne soit pas occasion de mauvaise joie pour l'autre. ( Imbéciles défilés des orangistes à Belfast! ) C'est moins une question d'établissement des faits que celle de leur présentation

 

Eduqués dans un esprit plus cosmopolite, plus ouvert aux sensibilités et aux difficultés des voisins, mieux informés de leurs préoccupations, les Français, Allemands, Polonais, etc. seraient mieux à même de comprendre les débats qui mobilisent les autres, voire d'y participer. Ce qui ferait alors que fussent traduits d'une langue à l'autre non seulement des oeuvres littéraires ou des travaux scientifiques mais aussi des essais socio-politiques, ceux-mêmes qui déclenchent ou qui résument les débats publics "des autres" et qui, - de nos jours - sont singulièrement ignorés au-delà des frontières de ces "autres".

 

Vous direz que tout cela est illusoire et dépassé car l'esprit public se forme aujourd'hui autour des stades et des rock-concerts, ou, intellectuellement, dans les circuits de l'internet. Peut-être. Il n'empêche que les institutions européennes existent et que les Français et les autres sont, tous les cinq ans, appelés à voter en tant qu'Européens alors qu'ils ont si peu d'idée de ce qui se passe chez les autres ou de ce que l'Europe représente pour eux mêmes. Si nous voulons vraiment que la citoyenneté européenne soit encore autre chose qu'une mention sur le passeport; il est indispensable que le citoyen européen soit éduqué, informé, motivé en tant que tel - et non seulement en tant que citoyen d'un Etat-membre -; il est indispensable qu'il soit rendu conscient plus qu'il ne l'est aujourd'hui de ce qui associe son pays aux quinze ou vint-cinq-cinq autres réunis sous le drapeau de l'Europe.

 

Sinon le "bas" continuera de ronger les bases d'une conscience authentiquement européenne.

 

Délimitation vers le haut

Le problème que j'entends évoquer sous ce titre est lié aux ambiguïtés de l'adjectif "européen". Géographiquement, celui-ci se rapporte à un sous-continent dont les frontiers vers l'Est ( l'Assie continentale et l'Asie mineure ) sont floues, et qui n'existent qu'à la faveur d'une convention géographique. Anthropologiquement, le terme désigne une ou plusueurs "races", plus ou moins exactement délimitées, dont les spécimens se trouvent aujourd'hui dispersés sur les cinq continents. Appliqué enfin à l'ordre des choses de l'esprit, le même adjectif échappe à toute délimitation topographique: "l'esprit européen", à supposer qu'il existe, n'a pas de frontières; par définition il les transcende - sa "particulatité" n'est-elle pas, précisement, d'être universel?

 

On voit donc que, "vers le haut", l'Europe n'est tout-à-fait délimitée ni par la géographie, ni par les données anthropologiques, ni par les "choses de l'esprit" - culture, système politique, etc. -. Non que ces limites soient inexistantes: à bien des occurrences elles sont visibles, palpables, porteuses de traits distinctifs et de contrastes. Mais elles sont ouvertes. Ouvertes vers l'Est ( l'Oural ou le Caucase ne sont pas des limites naturelles, évidentes ). Ouvertes vers l'Ouest et le Sud ( l'Europe a des prolongements sur les continents américains, australien et au-delà ). Ouverte est l'Europe aussi en ce sens que sa population est composite et le devient de plus en plus. Enfin et surtout, ouverte est l'Europe du fait de sa culture qui est celle de la modernité, et dont l'expansion a toujours été commandée par une ambition universaliste, plus ou moins indépendamment des rapports de force.

 

Mais si ces constats ( qui n'on d'ailleurs rien d'original ) sont justes, s'il est vrai que l'Europe ne peut guère se délimiter "vers le haut", c'est à dire vers le reste du monde et de l'humanité, le problème qui se pose alors est de savoir si l'Europe est une entité capable de ne s'identifier qu'avec elle-même, - si, politiquement et culturellement, elle peut jamais devenir telle?

 

Je laisse de côtè la question de savoir si une telle orientation est souhaitable. Je pars en effet de l'idée que l'Europe institutionalisée cherche à consolider ses acquis par une sorte d'union politique, et qu'une entité politique, même lorsqu'elle a des visées universalistes, ne peut se refuser un minimum d'égoisme collectif limité à ses seuls sociétaires. C'est en ce sens - politique - qu'une "identité" collective européenne pourrait, en effet, prendre son départ.

 

Mais pour que les Européens - citoyens, élus et dirigeants de toutes sortes - évoluent dans ce sens, il faut, évidemment, que l'Europe se donne une structure politique unifiée, un Etat, sans doute fédéral mais qui est autre chose qu'une conférence intergouvernementalle permanente instituée entre quinze ou vingt-cinq participants. Tant que les Etats-membres restent des acteurs indépendants de la scéne internationale, forcement, les citoyens de chacun d'eux tendront à s'identifier avant tout avec leur Etat, leur collectivité nationale, en continuant de percevoir l'Europe principalement comme un champ de lutte entre ses composantes et non pas comme une entité distincte du reste de l'univers, dont les membres seraient destinés à s'entendrent. Cette perception ne se modifiera dans le sens postulé - de l'identification supranationale - qu'à partir du moment où l'Europe, politiquement, deviendra un acteur indépendant de la scéne international et se comportera en tant que tel Nous ignorons si, dans l'orientation des affaires européennes, une telle mutation peut se produire à brève échéance - probablement, no -, mais une chose est sure: l'identification civique avec l'Europe ne peut naître que de cette façon-là.

 

Encore faut-il que l'Etat européen postulé ci-haut possède une volonté de s'imposer sur la scène internationale comme une vraie puissance ayant des intérêts distincts du reste de l'univers. C'est le sociologue Jean Baechler qui a formulé cette condition avec le plus de clarté dans un essai intitulé "L'Europe peut-elle encore faire de l'histoire?" et publié en 1989 dans la revue "Commentaire" ( n° 48 ) Evaluant les ambitions politiques de l'Europe, Baechler a démontré que, théoriquement, quatre voies étaient ouvertes à l'Europe à l'époque où il écrivait: se satelliser soit à l'URSS soit aux Etats-Unis, devenir une Suisse à l'échelle mondiale, ou se comporter comme une puissance autonome dans un monde devenant multipolaire. Une de ces voies ayant été éliminée par l'histoire du XXe siècle finissant, en ce début du troisième millénaire, les choix possibles de l'Europe se limitent désormais à trois: puissance autonome, satellite US, emporium politiquement neutre et passif d'un monde multipolaire. Cette énumération va dans une probabilité croissante: des trois volets de l'alternative, c'est le premier qui nous semble avoir le moins de chances de se réaliser, comparé aux deux autres. Ce qui ne veut pas dire que ses chances sont nulles.

 

Les deux autres voies ouvertes à l'Europe en l'état actuel des choses ont ceci en commun, qu'elles ne favorisent guère l'émergence d'une forte "identité" européenne. Bien au contraire, elles ne peuvent que conforter les Européens dans la conviction que, leur lieu d'identification c'est la patrie étroite ( la région ou la nation ). Ou alors que, le monde se "globalisant" et les valeurs se relativisant selon la loi d'airain de l'époque postmoderne, ils n'ont plus de patrie, ils sont chez eux partout.....

 

De l'identité collective

 

Dans les dernières décennies du XXe siècle, le mot terne "identité" est devenu très à la mode, non au sens de l'identité biologique ou psychologique d'un être individuel mais à celui des collectivités ethno-culturelles. On peut se demander si ce dernier usage est légitime, si l'extension du concept d'identité à des collectivités, quelles qu'elles soient, est justifiée.

 

Au sens strict, seul l'individu est identique à lui-même ( ce que chacun de nous éprouve d'ailleurs à moins d'être frappé d'un mal schizoïde ). Une collectivité immergée dans le temps qui passe reste-t-elle identique à elle-même? Ne serait-il pas plus juste de dire qu'elle a des caractéristiques - par exemple. des habitudes communes ou un ensemble de signes de communication - qui se transmettent aux individus la composant, soit par assimilation spontanée, soit par un apprentissage plus ou moins dirigé et conscient? Personnellement, je ne connais qu'une seule identité collective parfaitement stable et déterminée par la nature: l'appartenance au groupe masculin ou féminin. Toutes les autres "identités" collectives sont culturellement acquises et, par conséquent, séparables de l'individu. Elles sont acquises à ce dernier du milieu d'origine, ou d'adoption, qui l'a marqué - quand il l'a marqué - comme une empreinte avec avec laquelle il tend à s'identifier - à moins qu'il cherche à s'en débarraser ( ce qui est encore une sorte de marquage ). C'est cette identification positive ou négative qu'on appelle - à tort, il me semble - "identité collective".

 

Nous savons d'ailleurs que l'identification de l'individu avec son groupe n'est totale que dans les sociétés archaïques; là-encore, c'est une hypothèse plus qu'une certitude. Avec le dévelopement de la société, tous les groupes originaires s'intègrent dans un reseau plus complexe, ce qui n'est pas sans effet sur le lien individu-groupe. Dans les sociétés modernes, chaque individu appartient à des groupes nombreux et disparates ( membre de telle famille et habitant telle commune, il est ouvrier, commerçant, ingénieur ou gendarme, pratique la musique ou le sport, milite ou non dans une association, est catholique, juif ou franc-maçon, etc.). Le degré auquel il s'identifie avec chacun de ces groupes est aussi affaire de choix personnel. L'identification avec tel groupe peut se limiter à un vague sentiment de préoccupations semblables, ou de goûts partagés, alors que face à un tel autre groupe elle se traduit par un sens du devoir et des actes de fidélité. On sait aussi qu'avec le temps, un individu donné peut changer le, ou les, objet(s) priviligié(s) de ses identifications ainsi que l'intensité avec laquelle il s'attache à ceux-ci. ( Cette remarque, de nos jours et dans un contexte moderne, vaut évidemment pour la famille, mais aussi pour une autre référence aussi lourdement chargée de valeurs que la religion ).

 

La cible d'identification qui nous a plus précisément préoccupés à propos de l'Europe s'appelle "nation". Nous sommes partis du constat largement admis par les spécialistes de la question que, de toutes les identifications collectives des temps modernes, c'est le sentiment d'appartenir à une nation - la mienne - qui est le plus lourdement chargé d'affectivité et le plus visiblement présent dans mes loyautés civiques. Encore faut-il chercher à comprendre comment est l'articulation de ce sentiment avec d'autres identifications dont l'objet est plus ou moins similaire, comme, par exemple, la religion ou une cause politique ( l'une et l'autre étant d'ailleurs susceptibles de transcender la nation ). Nous savons que la nationalité est très englobante - on est Français d'abord et ouvrier ensuite, pour ne prendre que cet exemple - mais est-elle forcément et toujours plus englobante que la religion et la cause politique, qualités qui sont depuis longtemps en concurrene avec elle? Enfin, pour retourner au sujet de cette communication, la nationalité comme sentiment englobant est-elle compatible avec d'autres identifications à vocation englobante, et plus précisément avec la citoyenneté européenne?

 

Partons d'un fait bien établi. Pour un jeune écolier en Europe, la nation - plus exactement, la patrie et sa langue - est une donnée de naissance presque aussi immédiate que d'être né homme ou femme ( sauf, bien entendu, quand il est issu d'une famille d'immigrés ou d'une minorité nationale ). Ce n'est qu'à l'age adulte, au moment de se découvrir être politique, que ce même individu prend conscience du caractère non entièrement naturel de cette donnée et de la possibilité qu'il a de se déterminer par rapport à elle tant affectivement que politiquement. C'est à ce moment-là que l'"identité" nationale s'avère pour ce qu'elle est en vérité: le résultat plus ou moins médité d'une identification apprise. Homme ou femme, je le suis quoi que je fasse. Français, hongrois ou danois, je le suis tant que je me définis comme tel prioritairement à toute autre identification collective.

 

Si cette présentation des choses est proche de la réalité, il s'ensuit que l'identification de type national, qui, nous venons de le constater, elle aussi comporte une part volontariste, n'est pas forcement réservée à la seule nation. La communauté englobante que nous choisisson en tant que citoyens modernes placés devant les complexités du monde contemporain reste, pour les uns, en-deçà de la nation et peut aller, pour d'autres, au-delà de celle-ci. Supposons, en effet, avec Jürgen Habermas, que le patriotisme des citoyens allemands, français, hollandais ou italiens tend à s'attacher de plus en plus aux libertés constitutionnellement garanties au lieu de s'identifier avec les cadres géographiques d'une patrie historique. Nous nous acheminons alors vers un Etat européen postnational avec lequel nous nous identifions avant tout en raison de la justesse de ses lois et, en second lieu seulement, en raison des liens que l'histoire a noués entre lui et nous. (1) Bien entendu, le fait que cet ensemble constitutionnel soit aussi une communauté de culture n'est pas négligeable: toute seule la patrie de raison ne saurait remplacer les patrie d'affection.

 

Mais pourquoi ce nouveau patriotisme raisonné doit-il s'attacher à l'Europe plutôt qu'à un ensemble pluricontinental encore plus englobant, mais aussi soucieux des libertés et des droits de l'homme que l'Union européenne? La réponse n'est pas évidente alors même que, intuitivement, on comprend que les dimensions d'un "nous" collectif, même quand il est fondé en raison, doivent respecter certaines limites. L'Europe, aussi ouverte qu'elle soit "vers le haut", représente néanmoins une communauté de civilisation formée par l'histoire et la géographie, une communauté dont les membres, quand bien même ils parlent des langues différentes, sont tenus ensemble par de nombreux liens d'échange, de communication et de proximité. Le sentiment d'être Européen et d'avoir quelque chose à partager avec les autres Européens est moins abstrait, moins chimérique que celui d'être citoyen du monde, ou défenseur, disons, des valeurs de la civilisation occidentale.

 

Les évidences sont, certes, exposées à la corrosion. Pendant longtemps il a été tenu pour une évidence que l'affect du patriotisme est réservé à la cité - Jean-Jacques Rousseau le pensait ainsi. Avec l'avènement de la nation moderne, on a dû cependant reconnaître que le sentiment patriotique est non seulement compatible avec un grand Etat mais peut monter, avec celui-ci, à des niveaux d'intensité quasiment religieux, allant jusqu'au sacrifice personnel. Mais l'évidence de cette nouvelle équation n'a pas, elle non plus, survecu au XXe siècle. L'effet conjoint des deux guerres mondiales a désacralisé la Nation au point de libérer le terrain devant des objets d'identification plus partiels, ainsi que des modes d'identification plus réservés et plus variables. C'est précisément cette évolution-là qui nous interpelle en nous posant la question de ce qui peut succéder au nationalism déclinant.

 

Le retour à des micro-patriotismes, ou une avancée vers des identifications civiques élargies ( mais en même temps d'intensité limitées ) ? Tel est en substance le problème de l'Europe, considéré non du côté de la coopération entre Etats mais sous l'angle des modes d'identifications collectives. "Liberté", oui; "égalité", oui. Mais "fraternité", comment et jusqu'à quel point? "Europeen", je le suis, ou je veux bien l'être. Mon "identité" n'est donc pas en question: mais ai-je aussi l'envie de m'identifier avec mes frères européens au point ( pas de mourir pour eux, car c'est désormais l'affaire des professinnels ) de partager avec eux les bénéfices de mon impôt et les rentes de mes cotisations pour la retraite? Toute la question est là.

 

NOTE.

(1) Le problème de l'Etat européen est discuté d'une façon très complète et très approfondie par Jean-Marie Ferry dans un livre qui porte ce titre-même (Pais, 2000)

 

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